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Le mur muré

Photo du rédacteur: Annie Boyer-LabroucheAnnie Boyer-Labrouche

PRÉSENTATION DE L’ÉVÉNEMENT : «  EX-VOTO »

Une performance appelée « EX-VOTO », que vous pouvez venir visiter dans la cave murée et à laquelle vous pouvez participer est ouverte. Vous pouvez-vous inscrire et venir visiter la cave ou déposer un ex-voto sur rendez-vous en me contactant à l'adresse psychiatre.annieboyer@gmail.com , dans la cave devenue crypte. À la fin de l’événement, des images seront mises sur le site.


Le "Mur Muré", A. Boyer-Labrouche (2025)
Le "Mur Muré", A. Boyer-Labrouche (2025)

Il me faut ouvrir une brèche. Un jour, j’ai trouvé le mur muré d’une de mes caves remarquables. Vous savez, ces caves toulousaines dites « cathédrales », dont les voûtes sont très hautes. Les miennes sont aussi les fondations de la bâtisse du XVIIe siècle qui abrite maintenant deux immeubles imbriqués comme frère et sœur. Prendre soin de ces fondations, murs épais de 5 mètres, c’est prendre soin de la bâtisse, de la maison, et de notre lieu 15, rue Saint-Rémésy. Un mur muré a pour conséquence la mise en péril, l’étouffement de la cave. Elle ne peut plus respirer car elle est privée d’air.


L’architecte de l’époque avait créé un système d’aération naturel, par l’organisation de 2 soupiraux, l’un à gauche ouvrant sur un jardin, très profond, l’autre à droite, non pas en vis-à-vis, mais à une distance suffisante pour laisser passer un flux d’air, qui irrigue en même temps une deuxième partie de la cave, donnant sur un autre jardin. Depuis ce murage, l’humidité est extrême, la brique rose toulousaine se délite et devient poussière rouge. En attendant les procédures pour faire rouvrir ce mur qu’un indélicat a muré de façon grossière, je fais de l’art. Faire de l’art est un acte de résistance et d’émancipation, contre l’obscurantisme, la bêtise et la prédation. Créer, c’est résister. Et l’ignorance est la mère de tous les maux. (F. Rabelais)


En attendant, cette cave souffrante m’a appelée à faire un travail sur les ex-voto, et je présente ici cette performance éphémère.


Un ex-voto est une offrande votive faite à un dieu en demande d’une grâce ou en remerciement d’un vœu obtenu. « Ex-voto » est une expression latine qui signifie en effet « d’après le vœu ». Ex, « à la suite de, selon », et voto, « vœu ». Il s’agit donc d’un objet ou de plusieurs objets placés dans un lieu vénéré en accomplissement ou en signe de reconnaissance.


La performance, présentée ici, et présente de façon éphémère dans la cave est donc un geste votif. Elle est réalisée à partir d’objets, ici un crucifix, des timbres collés sur une enveloppe kraft déchirée, des étiquettes sur lesquelles j’ai écrit des mots ou des phrases avec un stylo bic. Il s’agit pour moi, dans l’intention, d’une offrande propitiatoire, car je demande aux forces du sous-sol (nous sommes à plusieurs mètres sous terre), d’ouvrir ce mur pour que la respiration reprenne. L’ex-voto fait de lui un objet de contrat, un échange, un don et contre-don entre le fidèle et la divinité. Le dépôt d’objets est à l’origine de la création d’un lieu sacralisé entre le dédicant et la divinité tutélaire. L’ex-voto a une fonction sociologique. Dans mon cas, il représente l’universalité d’un processus d’échanges, mais aussi l’impossibilité de communiquer avec ceux qui ont muré le mur. Pour moi, ces caves sont sacrées. Pour eux, elles sont vulgaires et monnaie d’échange pour leur petit trafic et s’inscrivent dans le profond de leur ignorance, historique, esthétique, soignante. Ils ne sont pas capables d’en prendre soin, juste de détruire, en laissant l’eau couler et en étouffant la brique.



Les textes écrits sur les papiers « ex-voto », coincés entre les briques, près du murage, sont en lien avec l’histoire de ce sous-sol et du quartier des Carmes. Ce sous-sol a servi d’hôpital de septembre 1914 à mars 1915, où ont œuvré les infirmières de la Croix-Rouge. Il y a eu des blessés, des malades, des agonisants et des défunts entre ces murs. Comme la peau, les fascias, les cellules, les murs gardent les mémoires.


Ces caves sont situées entre la rue Saint-Rémésy et la rue de la Dalbade. L’ensemble de la bâtisse est en forme de croix. Le sous-sol est la partie verticale du T de la croix.


L’oratoire Saint-Rémi


Dans le quartier des Carmes, de nombreux miracles eurent lieu dans les sanctuaires, les oratoires ou les chapelles. En effet, au Moyen-Age, les miracles animaient la vie urbaine. Les miracles de l’oratoire Saint-Rémi se produisaient dans un quartier de Toulouse marqué par la présence de plusieurs établissements ecclésiastiques, l’église paroissiale Notre-Dame-de-la Dalbade, les Hospitaliers de Saint-Jean-de Jérusalem, les deux églises étant séparées par un cloître. Le couvent des Carmes était non loin de là.


En 1496 se produisit un miracle. Aux alentours de la fête de la Saint-Jean, une image du crucifix placée dans la chapelle Saint-Rémésy se mit à pleurer et à suer. Le Christ fut alors voilé. Ce miracle fut d’ailleurs à l’origine d’un procès entre le curé de Saint-Jean et l’Archevêque.


Un oratoire fut dressé au coin des rues Saint-Jean et Saint-Rémésy, accolé aux murs extérieurs de la clôture du couvent des Hospitaliers, sur lequel était peinte une image pieuse représentant la Vierge. Le mur était orné de peintures et de statues de Saints. L’oratoire était fermé par des grilles de bois et recouvert d’un auvent de planches. L’oratoire était donc dans la rue, fait de bois, comme les maisons qui s’élevaient autour, sur des piliers de bois. Rue Saint-Rémésy, une table recouverte d’une nappe était dressée. Dessus, des cierges, un récipient en bois, une tête de cire rougeaude et galeuse marquée par la rogne étaient posés. Les aumônes étaient recueillies dans le bassin du crucifix et dans un tronc. Des lampes à huile brûlaient devant les images des Saints. Étaient déposés des ex-voto, têtes de cire, main, tibia, missels. On célébrait des messes devant cet autel. Le dimanche, une procession passait devant l’oratoire. Nous pouvons considérer ce dispositif dévotionnel comme un sanctuaire de quartier. Cet oratoire « éphémère », construit en bois, a subsisté pendant 4 siècles. Il fait partie d’un ensemble qui comprend une chapelle antérieure au XII° siècle, un mur orné de peintures et de statues, le mur de clôture courant tout le long de la rue Saint-Rémésy, du coin de la rue Saint-Jean jusqu’à la rue des Polinaires, au chevet de l’église de la Dalbade.


J’ai l’intention de faire prochainement une performance dans la cave qui évoquera le dispositif dévotionnel Saint-Rémi.


Note : Michelle Fournié, "L’oratoire Saint-Rémi et les Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem Les miracles de 1496 à Toulouse", Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France i. LXV (2005).


«  Barbe-Bleue, le cabinet secret »


Je rappelle qu’une performance a été déjà réalisée dans cette cave sur 3 années (2016-2019), appelée « Barbe-Bleue, le cabinet secret ». La cave était le tombeau des 7 femmes de Barbe-Bleue, évoquées par des robes pendues au plafond (conçues et cousues par l’artiste Sandrine Corte). Sept soirées ont eu lieu, la première avec la première robe de la première épouse, la deuxième avec deux robes… La huitième femme s’est envolée. La cave était ouverte au public durant ces soirées, qui pouvait visiter ce cabinet secret.



On n’enferme pas les oiseaux, on n’empêche pas les oiseaux de chanter, on les tue au lance-pierre, on les passe au mixer pour nourrir les faucons. On n’épargne pas les jeunes épouses lorsqu’elles n’ont plus d’intérêt, disent les ogres.


Nous avons assuré toutes les expositions, quels que soient les aléas provenant des voisins indélicats, l’eau coulant sur les voûtes, les flaques sur le sol. Et nous continuerons, les événements extérieurs sont dorénavant intégrés dans les créations.


Mes ex-voto sont un crucifix en bois peint en noir posé à l’entrée du soupirail et des textes écrits à la main sur des étiquettes au stylo bic :

JE VOUS AIME

QU’AVEZ-VOUS FAIT ?

SHAME ON YOU

OUVREZ-MOI !

IL Y A DES ÂMES COLLÉES DANS LES MURS

JE ME HEURTE A UN MUR DE BÊTISE

PRIEZ POUR EUX

HELLAS


Je propose à tous ceux qui ont envie de participer à la performance « Ex-voto » dans la cave murée de se faire connaître.





 
 

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Annie BOYER-LABROUCHE

Psychiatre, Art-thérapeute, Ecrivain

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