Cette épidémie de coronavirus rend fou. Parce que ce virus est inconnu, dangereux et que le monde n'est pas préparé, elle met en scène les ignorants de tous poils. Chacun a son mot à dire, les scientifiques s'égarent et l'on écrit la fable du pangolin et de la chauve-souris parce que la genèse du coronavirus reste mystérieuse.
L'objet de ce pamphlet est de rendre justice à l'ignorance. Monsieur le Professeur de l'Académie, quand on ne sait pas, on se tait. Sinon, on est un Diafoirus: "Dans les discours, et dans les choses, ce sont deux sortes de personnes, que vos grands médecins. Entendez-les parler, les plus habiles gens du monde; voyez-les faire, les plus ignorants de tous les hommes." Béralde Le malade imaginaire acte III scène 3.
Un Diafoirus , un cuistre, un charlatan, jargonne, employant les mots d'une médecine langagière avec des idées toutes faites, dans un formalisme vide, comme s'il était impossible de faire taire l'ego même face à quelque chose d'effrayant et d'inconnu et comme s'il était inimaginable de ne pas se référer à quelque chose de connu.
L'ignorance est une belle chose.
"Scio me nihil scire" " je sais que je ne sais pas
Platon développe l'ignorance socratique dans Apologie de Socrate:
"Quand je l'eus quitté, je raisonnai ainsi en moi-même: je suis plus sage que cet homme. Il peut bien se faire que ni lui ni moi ne sachions rien de fort merveilleux; mais il y a cette différence que lui, il croit savoir, quoiqu'il ne sache rien; et que moi, si je ne sais rien, je ne crois pas non plus savoir. Il me semble donc qu'en cela du moins, je suis un peu plus sage, que je ne crois pas savoir ce que je ne sais point."
Cette notion d'ignorance est d'autant plus fondamentale pour l'être humain qu'il se trouve devant quelque chose d'inconnu. C'est la reconnaissance de l'ignorance qui permet d'ouvrir un champ pour éventuellement trouver une réalité tangible. Cet espace ouvert est comparable à l'espace transitionnel dans lequel se développent la rêverie, la créativité et la compréhension des phénomènes. Les grands inventeurs ont agi seuls et leurs trouvailles ont été mises à jour dans cet espace et par sérendipité. Si un "savant" colle une réalité connue à un inconnu, certes il se fait voir, mais il ferme d'emblée tout imaginaire et donc toute capacité de résolution du problème. L'ignorance est une belle chose et la reconnaître est ce qu'il y a de plus utile. Sinon, comme pour Sgnanarelle, c'est la mauvaise ignorance qui parle.
Sgnanarelle dans Le médecin malgré lui acte II scène 4:
"Nous autres grands médecins, nous connaissons d'abord les choses. Un ignorant aurait été embarrassé, et vous eût été dire: "C'est ceci, c'est cela"; mais moi, je touche au but du premier coup, et je vous apprends que votre fille est muette."
Ainsi, dans le cas de cette pandémie de coronavirus, l'ignorance est reine.
L'origine de cette épidémie aurait pour clé parfaite le pangolin. La fable du pangolin et de la chauve-souris raconte qu'il y aurait eu la transmission d'un coronavirus dont l'hôte courant est la chauve-souris à un pangolin sur un marché d'animaux vivants à Wuhan. Il était une fois un pangolin, petit mammifère adorable au corps couvert d'écailles, à la longue queue avec des doigts griffus. Il habite dans les forêts des régions tropicales d'Afrique et d'Asie du Sud-Est. Il fait l'objet d'un trafic intense car sa viande est savoureuse et bonne pour la santé et ses écailles font partie de la pharmacopée chinoise. Il reste un animal sauvage qui ne peut être élevé en captivité et est braconné.
La chauve-souris Rhinolophus affinis est un mammifère placentaire. Elle vole et est nocturne. Elle est capable d'écholocalisation. Elle se suspend par les griffes des orteils et se déplace dans l'air grâce à une aile faite d'une membrane de peau reliant le corps, les membres et les doigts. Elle est capable d'émettre des sons et de chanter.
Le SARS-CoV-2 est le septième coronavirus connu pour infecter les humains. Il est optimisé pour se lier au récepteur humain ACE2. Il ne dérive d'aucune épine dorsale de virus précédemment utilisée. Il a un site de clivage unique (insertion d'un codon de la proline à un endroit particulier du génome viral). Il est probable que les chauves-souris servent d'hôtes réservoirs. Des chercheurs chinois pensent que les pangolins seraient les hôtes intermédiaires. [1]
Les coronavirus infestant les chauves-souris sont étudiés dans des laboratoires de niveaux P2 et P4 en Chine et des modèles de transmission animale sont en cours de recherche. Philippe Gaubert, chercheur à l'Institut de Recherche pour le Développement et rattaché au Laboratoire Évolution et Diversité Biologique de l'Université Paul Sabatier de Toulouse étudie le traçage du commerce de la faune sauvage. Il ne pense pas que le pangolin puisse être l'hôte intermédiaire du SARS-CoV-2 car le pangolin mis en cause est le pangolin malais (manis javanica) qui vit en Asie du Sud-Est. [2]
A ce jour, on ne sait rien sur la genèse et l'histoire de ce SARS-CoV-2. Il n'existe pas de traitement et de vaccin. On sait qu'il est très contagieux et peut attaquer tous les organes, même s'il a l'allure d'un banal virus respiratoire. Il a probablement une neuro-toxicité. [3] Il a des effets inflammatoires et crée une faille immunitaire très dangereuse pour l'homme.
L'ignorance peut être bonne ou mauvaise. Elle est bonne quand elle permet de regarder la réalité en face et d'ouvrir un espace de réflexion. L'ignorance est mauvaise quand elle est enrobée de fatuité et de sottise. Entre la bonne et la mauvaise, peuvent se glisser la dissimulation et le mensonge.
Saluons Jean de la Fontaine (1621-1695), fin connaisseur des faiblesses humaines, qui narre dans ses Fables l'ego et la bêtise humaine.
Saluons Molière (1622-1673), qui met en scène dans ses magnifiques et hilarantes pièces, les médecins savants dont il se moque.
La morale de la fable du pangolin, de la chauve-souris et du virus à spikes est qu'il ne faut pas laisser les margoulins et les chauvins dire que l'épidémie de Covid-19 est une grippette!
[1] Kristian G. Andersen et al. (2020), "The Proximal origin of SARS-CoV-2", Nat Med 26, 450-452.
[2] Philippe Gaubert, entretien dans Actu Toulouse 9 avril 2020.
[3] Li et al. (2020), "The neuroinvasive potential of SARS‐CoV2 may play a role in the respiratory failure of COVID‐19 patients", Journal of Medical Virology, 92(6), 552-555.
Mots-clés: pandémie, coronavirus, ignorance, pangolin, chauve-souris
Comments